Mais qui sont ces cons qui votent non ?

La question du jour: faut-il proposer, en option pour ceux qui le veulent, des menus végétariens dans les cantines scolaires ? Et la question subsidiaire: pourquoi y a-t-il autant d'abrutis qui votent "non" lorsqu'on leur pose la question ?

Un petit rappel des épisodes précédents: en mars 2015, en réaction indiecte aux attentats racistes et islamistes de janvier 2015 à Paris, certains maires de droite avaient décidé de supprimer les menus sans porc dans la cantines scolaires au prétexte de la "laïcité". Nicolas Sarkozy leur avait donné raison sur RTL. Bien sûr la laïcité n'était qu'un faux-nez pour la xénophobie dans ce dossier. Vous connaissez ma position sur ce sujet, qui rejoint celle d'une tribune co-signée par Mathieu Ricard, Aymeric Caron et plusieurs autres dans le Monde. Le repas végétarien est le plus laïc de tous, c'est le titre de cette tribune que j'approuve bien sûr.

Cet appel de bon sens a rencontré un certain echo parmi les politiques, semble-t-il. Voici que le député de centre droit Yves Jégo annonce qu'il déposera en septembre une proposition de loi allant dans ce sens. Une pétition en ligne a déjà recueilli plus de 20.000 signatures à l'heure où j'écris ces lignes. Plusieurs média comme M6 info (qui classe la question dans la rubrique "Futilités" !) ou Le Figaro ont organisé des sondages qui donnent en gros 60% de "non".

Quelles peuvent donc être les motivations des gens qui votent "non" ? Il s'agit d'ajouter une option végétarienne au menu, et non de priver les enfants de quoi que ce soit. Comme pour le mariage homosexuel, on n'enlèverait aucun droit à personne en faisant une telle réforme. Le Figaro a publié un résumé des commentaires des internautes.

Le top 1 du commentaire stupide: "on doit apprendre à manger de tout y compris de la viande". Ah bon ? Et d'où vient cette injonction, cette obligation ? Est-ce le pape qui l'a décrété ? La reine de d'Angleterre ? Le grand mufti du Bogota ? Le président du moto-club de Sartrouville ? Et qui définit le périmètre exact de "manger de tout" ? Est-ce que cela inclut les insectes et les serpents comestibles ? le viande de chat et de chien ? les déchets d'abattoir pudiquement rebaptisés "minerai" et inclus dans les hachis parmentiers ? La viande des espèces protégées et menacées d'extiction, et mer comme sur Terre ? Notre numéro 1 c'est juste la connerie pure. C'est l'argument: "j'ai toujours mangé comme ça et je ne me suis jamais posé de questions".

En numéro 2, nous avons "Il est clair que cette proposition ne vise qu'à apaiser les réclamations communautaristes". Autrement dit pas question de faciliter la vie des petits Juifs et Musulmans qui ne mangent pas de porc. Saucisson obligatoire ! Désolé c'est une question la "laïcité" c'est non négociable. Le numéro 2 est donc raciste et xénophobe, tout simplement.

En numéro 3 nous avons "Les personnes qui n'aiment pas la viande peuvent parfaitement s'en passer et demander un peu plus de légumes." On pourrait y distinguer deux composantes:

  • l'ignorance en matière de nutrition (si l'on prend un menu de cantine scolaire typique et qu'on enlève la viande et le lait on obtient malheureusement un menu carencé)
  • la mauvaise foi (comment fait-on avec le plat de légumes à la crème et aux lardons ?)

Une fois de plus je suis frappé par la pauvreté et l'indigence des arguments des carnistes. Je pense que les mecs qui défendaient l'esclavage au 19e siècle devaient se trouver confrontés à la même absence d'arguments valables pour débattre. Cela me conforte dans l'idée que oui, le carnisme est bel et bien une idéologie. Comme le sexisme il peut être difficile à percevoir comme tel tant il imprègne la culture dominante. Le repas végétarien est vu comme tellement anormal qu'on ne doit pas lui permettre d'exister, même sous forme d'option. Pourquoi pas le droit de vote pour les femmes tant qu'on y est ? Ou l'interdiction de faire travailler les enfants ?

Le conservatisme des lecteurs du Figaro ne me surprend pas. Ça ne m'étonnerait pas qu'une majorité d'entre eux soient favorables au rétablissement de la peine de mort, pour ne donner qu'un exemple. On peut seulement espérer que la gauche se montrera suffisamment réceptive aux arguments de bon sens présentés par Yves Jégo, l'argument environnemental notamment qui devrait faire mouche à l'approche de la COP21 (conférence sur le changement climatique) en décembre à Paris. Le repas végétarien est aussi plus écologique. Est-ce que deux tiers des lecteurs du Figaro l'ignorent, vraiment ? Feront-ils passer l'idéologie, le conservatisme, la xénophobie ou l'ignorance avant l'environnement ? Mais ne soyons pas défaitistes. La bataille ne fait que commencer. Et si les députés ne se montrent pas à la hauteur cette fois-là, on reviendra à la charge, au parlement, auprès des directeurs d'école, des maires et des responsables de cantine. Tant pis si ça déplaît aux con-servateurs: le repas végétarien à la cantine deviendra d'ici quelques années une réalité quotidienne.

Haut de page