Oui, je pleure, monsieur Macron

Cher monsieur Macron,

Le 30 mars vous avez déclaré devant des une assemblée d’éleveurs réunis par la FNSEA : « C’est l’éleveur qui pleure quand un animal meurt, pas les gens qui sont dans des associations », et cette phrase vous a valu des applaudissements nourris. Le message politique ainsi véhiculé consiste à déclarer aux éleveurs : « vos ennemis sont mes ennemis, donc je suis votre ami ». L’association 30 millions d’amis évoque un « affront fait aux défenseurs des animaux ».

Or il se trouve que je suis à la fois adhérent du mouvement « En Marche ! » et membre de l’Association Végétarienne de France ainsi que L214 Éthique et Animaux. J’ai adhéré à « En Marche ! » car j’apprécie votre vision, et une bonne partie de votre programme. Je soutiens votre projet de réformer en profondeur le marché du travail, la formation professionnelle ou les retraites pour plus d’équité et d’efficacité. Mais il se trouve que je suis également végétarien et sensible à la cause animale.

Votre déclaration m’a plongé dans la perplexité pour ne pas dire la colère. Au-delà de mon cas personnel (dois-je continuer à vous soutenir si vous m’attaquez publiquement ?), je me demande si vous avez bien saisi l’importance des enjeux.

Il ne s’agit pas de savoir si en termes de marketing électoral il serait plus « rentable » pour vous de chercher à séduire les éleveurs ou bien les végétariens (si d’ailleurs vous faisiez un sondage pour connaître le nombre de végétariens parmi les adhérents « En Marche ! » vous pourriez être surpris).

Il s’agit de savoir comment nourrir 7 ou 8 milliards d’humains en limitant les émissions de gaz à effet de serre et en luttant contre la faim dans le monde. Or les experts de l’ONU, ceux du GIEC comme ceux de la FAO, s’appuyant sur une abondante littérature scientifique, ces experts sont formels : pour atteindre ces deux objectifs il nous faudra réduire la consommation mondiale de produits animaux (viande et lait) dans les pays les plus développés.

J’ai choisi un seul graphique dans une synthèse scientifique récente pour illustrer mon propos (Improving diet sustainability through evolution of food choices: review of epidemiological studies on the environmental impact of diets, Marlène Perignon, Florent Vieux, Louis-Georges Soler, Gabriel Masset, and Nicole Darmon, Nutrition Reviews 2017 Jan; 75(1):2-17). Ce graphique montre que renoncer à la viande permet de réduire les émissions de GES liées à la nourriture de 60%. Or l’agriculture est un des tous premiers contributeurs du réchauffement climatique, avec le logement et les transports. Chercher à réduire le bilan carbone de notre assiette et lutter contre la faim dans le monde est une nécessité pour nous tous, et spécialement pour ceux qui se disent progressistes. Le bon sens nous dit qu’il est plus efficace de consommer du soja et des céréales directement, plutôt que s’en servir pour nourrir des poulets ou des cochons. Et la science vient confirmer et chiffrer cette évidence :

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Avec 235g de viande par jour (en équivalent carcasse, un peu moins en poids réellement consommé), la moyenne française correspond actuellement à la colonne de gauche (« high meat eaters »). Et les nouvelles recommandations nutritionnelles (janvier 2017) de l’ANSES se situent au centre (« low-meat eaters », 500g par semaine. (« l’Agence insiste sur la nécessité de limiter la consommation des viandes  et plus encore des charcuteries et des boissons sucrées »). Si nous cherchons sérieusement et sincèrement à respecter l’accord de la COP 21 sur le réchauffement climatique, alors il faudra réduire notre consommation de viande. Il faut l’assumer et dire clairement aux éleveurs : « la consommation de viande va continuer à baisser, et nous encouragerons cette baisse pour des raisons d’écologie et de santé publique, mais allons vous aider à vous reconvertir ». Cela demande du courage politique, mais c’est une nécessité et même une urgence pour nous tous. Pour résumer, les céréales cultivées dans les pays où l’on meurt de faim servent à nourrir d’innombrables poulets et cochons dans les pays où l’on meurt de trop manger de viande et de produits laitiers (obésité, problèmes cardiaques, cancers du côlon, etc). N’est-ce pas notre devoir de mettre fin à ce scandaleux gaspillage ?

Vous avez remarqué que je n’ai pas mentionné le bien-être animal ni les droits des animaux et que je me suis appuyé sur trois arguments seulement (le réchauffement climatique, la faim dans le monde et la santé humaine) pour défendre les 10 mesures du manifeste Veggie 2017: Menus végétariens dans les cantines scolaires, affichage du bilan CO2 des aliments, meilleure information du public, etc.

Un dernier mot avant de conclure : vous avez parlé en mon nom en déclarant : « C’est l’éleveur qui pleure quand un animal meurt, pas les gens qui sont dans des associations ». Ne suis-je pas maître de mon éthique, et des sentiments qui en découlent ? Qui vous autorise à me déclarer insensible au sort des animaux ? Oui, je pleure, monsieur Macron. Je pleure lorsque je pense à toute cette violence inutile. À ces millions de pauvres bêtes qu’on tue sans nécessité, alors qu’on pourrait se nourrir autrement. À toutes celles qui passent leur vie en cage et ne voient pas la lumière du jour ni la couleur d’un brin d’herbe de toute leur vie. Et à toutes celles qu’on tue ou qu’on enferme pour le seul plaisir : chasse (présidentielle ou non), corrida, delphinariums... Oui, je pleure, monsieur Macron. Ne me faites pas l’injure d’affirmer le contraire.

Pour finir, j’aimerais vous poser les questions suivantes :

1. Connaissez-vous et reconnaissez-vous l’impact de nos choix alimentaires (individuels et collectifs) sur le réchauffement climatique ?

2. Reconnaissez-vous qu’une réduction de la consommation de viande dans les pays développés sera nécessaire pour réduire efficacement la faim dans le monde ?

3. Et que mettre en œuvre les recommandations nutritionnelles 2017 de l’ANSES implique une forte réduction de la consommation de viande en France ?

4. Quelle est votre position sur les 10 propositions du programme Veggie 2017 de l’Association Végétarienne de France ?

5. Pensez-vous que les « gens dans les associations » pour reprendre votre formule, feraient mieux d’aller soutenir un autre candidat ?

6. Pourriez-vous s’il vous plaît vous abstenir d’injurier les personnes sensibles à la cause animale et de parler en leur nom dans vos prochaines interventions publiques ?

Recevez, cher monsieur Macron, mes respectueuses salutations.

Un Adhérent « En Marche ! »

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