Max et les cinq vaches

Nous avons vu deux spectacles cette semaine, tous les deux anti-spécistes, chacun à sa façon. Quoi de commun entre un film d'action à gros budget de George Miller et une pièce de théâtre donnée dans la toute petite salle de la rue des Déchargeurs ? A première vue, rien. Mais si l'on réfléchit aux motivations  des auteurs et au message qu'ils cherchent à faire passer, la folie meutrière du dernier Mad Max a presque tout en commun avec Peau de Vaches, la sympathique pièce comique de Céline Naissant. Ce que le réalistateur australien fait avec les images choc d'un road-movie sauvage et complètement déjanté dans un monde dévasté, l'auteure française le fait avec l'humour, en jouant avec les mots et en déconstruisant les stéréotypes spécistes du langage.

Dans les deux cas, les frontières se brouillent entre l'humain et l'animal. George Miller nous montre des hommes et des femmes exploités comme du bétail et réduites à leur fonction: laitières, pondeuses, "globulards" (autrement dit "donneurs" de sang, sauf que c'est plus un vol qu'un don). En jouant constamment sur les double sens, Céline Naissant fait parler des mammifères dont on se demande si ce sont des femmes causant de leur dernière liposuccion ou insémination dans la salle d'attente de la clinique ou des vaches laitières. Georges Miller nous donne à voir Max attaché et privé de parole par une muselière; Céline Naissant donne au contraire la parole à de sympathiques femelles qui ont "la langue bien pendue", et dont la joyeuse insouciance forme une cruel contraste avec le sort qui les attend.

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Certains ont vu dans Max Max: Fury Road un film féministe et ce n'est pas faux mais ce n'est qu'une partie du propos de l'auteur à mon avis. Les hommes ne sont pas moins exploités que les femmes dans le film: et notamment les "war boys" éduqués au combat, fanatisés depuis l'enfance et dotés seulement d'une demi-vie. Si j'ai bien compris on leur injecte des cancers et autres saloperies qui font que la mort au combat est pour eux la seule façon de justifier une existence qui sera courte de toute façon. Ces war boys font penser bien sûr aux jeunesse hitlériennes mais aussi aux djiahdistes de Daech ou d'Al Qaeda. "Soyez témoins !" crient-ils à leurs camarades avant de se sacrifier, et bien sûr cette injonction s'adresse avant tout au spectateur qui est invité à réfléchir à ses propres actions, à sa propre violence, à sa part de responsabilité dans la catastrophe collective qui nous menace. Il y a très peu d'animaux dans ce film (un lézard à deux têtes et quelques corbeaux) mais c'est précisément de voir des hommes et des femmes (mal)traités comme du bétail qui est choquant et nous invite à réfléchir. Si Georges Miller ne touche pas au tabou de l'antropophagie, on sent bien qu'on en est pas très loin. Au contraire Céline Naissant n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat à la fin de sa pièce, avec un geste scénique qui signifie clairement: "bon appétit, bande de salauds !" et qui m'aurait sans doute mis fort mal à l'aise si j'étais carniste.

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Peau de Vaches, Mad Max. Subtilité et jeux de mots d'une part, images choquantes et mutisme d'autre part. Théâtre et cinéma. France et Australie. Deux approches, deux cultures, deux esthétiques, une seule question. Et cette question, la voici: avons-nous moralement le droit d'exploiter le corps de l'autre ? Même si la force ou l'intelligence nous en donnent la possibilité, est-il légitime d'utiliser sa chair, son sang, son lait, sa force selon nos besoins ou pour le simple plaisir ? Quand donc cesserons-nous de faire la guerre à la planète qui nous berce et nous héberge, et aux espèces animales qui partagent cet habitat avec nous ?

A lire aussi: un long article de Camille Brunel dans Vegactu qui développe le thème de l'antispécisme de Mad Max: Fury Road, et une interview de l'auteur sur la Rue du Bac.

(crédits photo: Dakota Langlois pour la photo de Peau de Vaches).

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